Mina Squalli-Houssaïni
Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps
11.03. — 30.06.2023

Mars 2023, Genève — tentative d’écriture, démêler les fils — [Notes/repères] recadrage historique : dès 1960 Paris, théâtre de la lutte pour l’indépendance, dissensions politiques, petite histoire et dissidences. Révolution. Énumération frénétique. 17 octobre 1961, répression meurtrière, massacre. Faute de mieux, arpentage des exils anonymes post indépendance. Résistances. Rue des Couronnes, Barbès, la Goutte d’Or ; auto-organisation en associations, rassemblements anti-racistes / permanences juridiques antiexpulsions et soutien psychologique gratuit ; lutte pour les droits des immigrés sans-papiers. 20 avril 1980 en Kabylie et à Alger, début du Printemps berbère [Tafsut Imaziɣen], premier mouvement populaire d’opposition aux autorités depuis l’indépendance du pays en 1962. Paris, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, décès de Malik Oussekine, étudiant tué sous les coups de la police. Tentative de mise en place d’une ponctuation sensée ; Maître Ali Mécili, porte-parole et ami de l’un des chefs de l’opposition algérienne en exil [Hocine Aït Ahmed], mort assassiné le 7 avril 1987. Empêchements impensés. 6 Allée des Dames [où les premières cassettes de Radio Assifah ont été dupliquées] ; pont de Bezons [à côté de Nanterre, d’où sont partis de nombreuses manifestations et où des corps ont été repéchés dans la Seine], Square Saïd Bouziri [militant du Mouvement des Travailleurs Arabes] ; Pont de l’Alma – zouave, lieu de mesure des crues de la Seine ; 115 boulevard Saint Michel - tracts dans les lycées et universités, quête effrénée de moyens de communication effectifs et efficaces.

Dans les formes développées par Mina Squalli-Houssaïni, Saïd et Mounir, alias fictifs inspirés de protagonistes réels, arpentent au fil de l’eau ces lieux. Il appartient à leurs yeux d’aller au-delà de l’histoire. Envers la démesure des puissants, seul le regard individuel est habilité à déceler les indices et mener de front la contre-enquête, unique forme d’autonomie tactique dans des géographies quadrillées.
La planque, la nuit et le silence en symboles de leurs luttes.

Paris, métropole coloniale ne perd pas son statut de lieu de résistances et de répressions après les indépendances de ses anciennes colonies et devient, sans heurts, une métropole post-coloniale dont les affaires Ben Barka (France/Maroc) et Mécili (France/Algérie) sont les exemples connus. Ces sols nationaux deviennent le terrain des jeux de pouvoir entre puissances coloniales et anciens pays colonisés, avec la collaboration active des polices au service du pouvoir hégémonique. Aux lendemains de l’indépendance, les gouvernements en place n’admettent pas d’opposition démocratique en leur sein. Les opposant·es sont acculé·es à un militantisme de l’ombre, la répression s’exerce dans leur pays mais également sur le sol de l’ancienne métropole.

Ce qui survient à la suite des indépendances puise ses racines dans les secrets. Aussi, pour éclairer le passé non élucidé, l’exposition a recours à des archives pour tenter de suppléer l’invisible. Mais lorsque les archives ne suffisent pas, quand le devoir de mémoire se fait goulot d’étranglement dans lequel le souvenir souffre, la fiction prend le relais et reconstitue ce qui est tu, caché.

Alors, oui, Paris se présente comme un labyrinthe où il ne faut pas se tromper de parcours. Il y a des lieux autorisés et des lieux interdits car dangereux. Ici la Seine est le lien, l’eau qui par sa fluidité agrège, par sa profondeur, ensevelit. Ligature intergénérationnelle qui nous enjoint à penser l’héritage dont le présent est dépositaire, que retenir de l’apparent, que mettre à jour du dissimulé ?
–Asma Barchiche ᴥ

[ENG]

March 2023, Geneva — attempting to write, untangling the threads — [Notes/references] reframing history: 1960’s Paris, theatre of the struggle for independence, political dissension and dissidences. Revolution. Frenzied enumeration. October 17, 1961, murderous repression, massacre. In the absence of anything better, surveys of anonymous post-independence exiles. Resistance. Rue des Couronnes, Barbès, la Goutte d’Or; self-organization in associations, anti-racist meetings/anti-expulsion legal services and free psychological counselling; struggle for immigrants’ rights. April 20, 1980 in Kabylia and Algiers, beginning of the Berber Spring [Tafsut Imaziɣen], first popular movement of opposition to the authorities since the country’s independence in 1962. Paris, on the night of the 5th to 6 of December 1986, death of Malik Oussekine, student killed by police brutality. Attempting to follow a sensible punctuation; Maître Ali Mécili, spokesman and friend to one of the leaders of the Algerian opposition in exile [Hocine Aït Ahmed], assassinated on April 7, 1987. Unspoken hindrances. 6 Allée des Dames [where the first Radio Assifah tapes were duplicated]; Pont de Bezons [next to Nanterre, where many demonstrations originated and where bodies were retrieved from the river], Square Saïd Bouziri [activist in the Mouvement des Travailleurs Arabes] ; Pont de l’Alma - zouave, water levels of the floods of the Seine; 115 boulevard Saint Michel - handouts in high schools and universities, frantic quest for effective and efficient means of communication.

In the shapes elaborated by Mina Squalli-Houssaïni, Saïd and Mounir, fictional aliases inspired by real protagonists wander down the banks of the land. They glance beyond the line of history. Against the excess of the powerful, only the individual gaze is able to detect clues and carry out the counterinvestigation, unique possible form of tactical autonomy in a gridlocked geography. The hideout, the night and silence as symbols of their struggles.

Paris, a colonial metropolis, does not lose its status as a battleground for resistance and repression after the independence of its former colonies, and becomes, seamlessly, a post-colonial metropolis, where the Ben Barka (France/Morocco) and Mécili (France/Algeria) cases are well-known examples. These national territories became an arena for power games between colonial powers and former colonies, with the active collaboration of the police dedicated to servicing the hegemonic power. In the wake of independence, the governments in force deny any democratic opposition within their midst. Dissidents are condemned to the shadows, and repression is exercised not only in their own country but on the late metropolis’ soil as well. What happens following the independences is rooted in secrecy. In order to shed light on the unresolved past, the exhibition uses archives to supplant the invisible. However, when archives fail to suffice, when memory becomes a stronghold in which the souvenir suffers, fiction takes over and reconstitutes what is unspoken, hidden.

So, yes, Paris is like a labyrinth where one must not wander off the wrong path. There are authorized places and forbidden ones as they are dangerous. Here, the river is the bridge, as water by its fluidity unites and, in its depth, enshrouds. Intergenerational ligature that enjoins us to think about the heritage in custody of the present, what to retain from the apparent surface, how to uncover the concealed?

– translation of a text contribution originally written in French by Asma Barchiche